Le décret conditionnant l’entrée en vigueur de la présomption de démission est paru au journal officiel du 18 avril 2023.
A compter du 19 avril 2023, un employeur pourra donc mettre en œuvre la procédure relative à la démission présumée à l’égard d’un salarié en situation d’abandon volontaire de poste.
Qu’est-ce qu’est la démission présumée ?
L’article 4 de la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi a intégré dans le code du travail un article L. 1237-1-1 prévoyant que « Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l'employeur, est présumé avoir démissionné à l'expiration de ce délai. »
Pour tout connaisseur du droit du travail, ce mécanisme de la démission présumée est une curiosité, pour ne pas dire une aberration juridique.
De tout temps la démission a été jugée comme étant celle par laquelle le salarié manifeste clairement et sans équivoque sa volonté de rompre son contrat de travail. En conséquence la Cour de cassation et les juges du fond ont invariablement jugé que la démission ne se présume pas.
Dorénavant, le législateur prévoit que la démission peut se présumer.
Bien que limité dans l’esprit du texte à la seule hypothèse d’abandon de poste demeurant injustifié, ce changement de paradigme reste difficilement concevable au regard de l’ingénierie juridique établie depuis plusieurs décennies.
Jusqu’à lors, ce mécanisme légal n’était pas effectif, car conditionné par la parution d’un décret d’application.
C’est dorénavant chose faite.
Le décret no 2023-275 du 17 avril 2023 sur la mise en œuvre de la présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié est paru au journal officiel le 18 avril 2023.
Il entre en vigueur le lendemain de sa publication, soit le 19 avril 2023.
Le texte intègre un article R. 1237-13 au code du travail ainsi rédigé :
« L’employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et entend faire valoir la présomption de démission prévue à l’article L. 1237-1-1 le met en demeure, par lettre recommandée ou par lettre remise en main-propre contre décharge, de justifier son absence et de reprendre son poste.
Dans le cas où le salarié entend se prévaloir auprès de l’employeur d’un motif légitime de nature à faire obstacle à une présomption de démission, tel que, notamment, des raisons médicales, l’exercice du droit de retrait prévu à l’article L. 4131-1, l’exercice du droit de grève prévu à l’article L. 2511-1, le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à une réglementation ou la modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, le salarié indique le motif qu’il invoque dans la réponse à la mise en demeure précitée.
Le délai mentionné au premier alinéa de l’article L. 1237-1-1 ne peut être inférieur à quinze jours. Ce délai commence à courir à compter de la date de présentation de la mise en demeure prévue au premier alinéa. »
Procédure de mise en œuvre de la présomption de démission :
Avant de pouvoir présumer son salarié comme étant démissionnaire, l’employeur doit le mettre en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste.
La mise en demeure est adressée par courrier recommandé.
Reprenant les termes de l’article L. 1237-1-1 du code du travail, le texte prévoit également une notification par lettre remise en main propre contre décharge – ce qui est assez curieux, voire impossible à mettre en œuvre sachant que l’on se trouve dans une hypothèse où par définition le salarié n’est plus dans l’entreprise.
En pratique, la voie du courrier recommandé avec avis de réception sera donc indubitablement privilégiée.
Le texte prévoit que l’employeur doit laisser a au salarié un délai minimum de 15 jours pour pouvoir se justifier et reprendre son poste.
Ce délai commence à courir à compter de la première présentation du courrier de mise en demeure.
A la discrétion de l’employeur, un délai plus long pourra être fixé.
En tout état de cause, il résulte des textes que lorsque à l’expiration du délai fixé dans la mise en demeure, le salarié n’y défère pas et ne reprend pas son poste, la présomption de démission est acquise.
Quelles sont les conséquences de la démission présumée ?
Lorsqu’elle est acquise, la démission présumée emporte deux conséquences juridiques certaines.
Premièrement, le contrat de travail est rompu.
Deuxièmement, le motif de rupture ne caractérisant pas une perte involontaire d’emploi, le salarié n’aura pas droit aux allocations chômage (sauf s’il introduit un recours pour contester cette démission présumée, et qu’il obtient gain de cause).
Selon nous, une troisième conséquence juridique pourrait être induite par cette situation, mais pas nécessairement de manière systématique.
Faute d’être expressément écartée par les textes, la démission présumée pourrait être considérée par l’employeur comme étant abusive et justifiant de sa part une action indemnitaire sur le fondement de l’article L. 1237-2 du code du travail.
Ce pourrait notamment être le cas lorsque l’abandon de poste ayant conduit à la démission présumée provient d’un salarié occupant un poste stratégique pour l’entreprise et/ou lorsqu’il intervient dans une conjoncture particulière (période de forte activité ou cruciale pour le maintien de l’activité, secteur particulier où les conditions de recrutement sont difficiles, etc…).
Brèves réflexions sur l’application pratique de la démission présumée :
Le mécanisme pensé par le législateur pourrait selon nous poser certaines difficultés dans la pratique, nécessitant l’intervention des juges pour le préciser.
1/ Faute de précision, les tribunaux seront peut-être amenés à se prononcer sur la manière dont doit être apprécié le délai laissé par l’employeur au salarié pour se justifier.
Sera-t-il question de jours calendaires ? de jours ouvrables ?
La lecture du site gouvernemental laisse paraitre une appréciation en jours calendaires (week-ends et jours fériés compris).
Les règles relatives à la computation des délais du code civil s’appliqueront-elles ?
En ce cas il pourrait y avoir une incohérence entre les textes dans la mesure où le futur article R.1237-13 du code du travail prévoit que ce délai commence à courir le jour de la notification alors que l’article 641 du code de procédure civile prévoit que lorsqu'un délai est exprimé en jours, celui de la notification qui le fait courir ne compte pas.
Si l’employeur concède un délai plus long, y aura-t-il une limite au nombre de jours qu’il pourra fixer ?
Autant de question sur lesquelles les tribunaux pourront être amenés à trancher.
2/ Une zone d’incertitudes pourrait notamment se créer dans la phase post mise en demeure.
Les textes prévoient que le salarié doit être invité à justifier son absence et reprendre son poste dans le délai imparti par l’employeur.
Une lecture stricte de l’article pourrait conduire à considérer deux conditions cumulatives en raison de la conjonction de coordination « et ».
Quid alors lorsque le salarié ne satisfait que partiellement à ces conditions.
1ère hypothèse : lorsque le salarié ne fournit pas de justificatif mais reprend son poste de travail.
Pourrait-il être présumé démissionnaire ?
Selon nous, par analogie avec la jurisprudence applicable en matière de licenciement pour abandon de poste, dans la mesure où le salarié reprend son poste avant l’expiration du délai imparti par la mise en demeure, la présomption de démission ne pourrait pas jouer.
En revanche, le défaut de justification d’une absence caractériserait un comportement disciplinairement sanctionnable.
2ème hypothèse : lorsque le salarié justifie son absence mais ne reprend pas son poste.
L’employeur peut-il présumer le salarié comme étant démissionnaire à l’expiration du délai imparti ?
Selon nous, la réponse n’est pas évidente, et dépend du justificatif fourni par le salarié.
Le futur article R. 1237-13 donne des exemples de justifications : raisons médicales, exercice du droit de retrait, exercice du droit de grève, refus d’exécuter une instruction contraire à la réglementation.
Par l’utilisation de l’adverbe « notamment », le texte ne limite pas les justificatifs pouvant être donnés.
En revanche, ils devront toujours consister en des « motifs légitimes »
Partant, si le justificatif d’absence donné est jugé comme étant légitime, et qu’il justifie de l’impossibilité du salarié de pouvoir reprendre son poste (arrêt maladie par exemple), alors il serait logique que la présomption de démission ne soit pas acquise y compris si l’absence du salarié se prolonge au-delà du délai imparti dans la mise en demeure.
En revanche, si le justificatif donné par le salarié est considéré comme illégitime et/ou ne justifiant pas une absence au-delà du délai imparti par la mise en demeure, alors il pourrait être jugé que le salarié échoue à faire obstacle à la présomption de démission s’il ne reprend pas le travail.
Reste en suspens la délicate question du salarié qui n’a pas repris le travail et qui fournit un motif légitime d’absence après l’expiration du délai imparti par l’employeur dans la mise en demeure.
Dans ce cas, un application littérale du texte suffirait à consacrer la démission présumée puisque l’article L. 1237-1-1 prévoit que le salarié est présumé démissionnaire « à l’expiration de ce délai ».
Toutefois, les tribunaux conservent un pouvoir souverain d’appréciation. Rien n’exclut ainsi qu’ils privilégient une approche pragmatique, surtout si les circonstances des affaires qu’ils auront à juger établissent une impossibilité matérielle et absolue pour le salarié de pouvoir adresser son justificatif dans le délai imparti (nous pensons par exemple à un salarié vivant seul, isolé, qui aurait eu un grave accident l’empêchant en raison de la nature de ses soins de prévenir son employeur dans le délai de 15 jours, …).
La jurisprudence jouera donc un rôle prépondérant dans la fixation du régime de la démission présumée.
Reste à savoir si des contentieux verront le jour, ce qui implique que le système soit usité par les employeurs, ce qui n’est pas certain vu l’insécurité juridique qu’il créé, et alors que la voie du licenciement pour abandon de poste restera a priori ouverte.
Genséric ARRIUBERGE
Avocat
Pour toute question juridique ou contentieux en droit du travail ou droit de la sécurité sociale n’hésitez pas à contacter le cabinet Genséric ARRIUBERGE avocat.
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