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  • Genséric Arriubergé

Licenciement abusif : le barème "Macron" consacré par la Cour de cassation

Par deux arrêts en date du 11 mai 2022, la Cour de cassation a consacré l’application du « barème Macron » en décidant que le juge français ne peut l’écarter, même au cas par cas.

Cass. soc. 11-5-2022 n° 21-15.247 et Cass. soc. 11-5-2022 n° 21-14.490, publiés au bulletin de la Cour de cassation

 
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Par ces deux arrêts du 11 mai 2022, la Cour de cassation juge non seulement que le barème d’indemnisation édicté à l’article L. 1235-3 du code du travail est valide car il n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), mais également qu’il s’impose dans son application aux juges du fond, lesquels ne peuvent pas l’écarter dans le cadre d’une appréciation « in concreto ».


La Cour de cassation avait déjà esquissé le contours de sa décision dans son avis du 17 juillet 2019 (Avis Cass. 17-7-2019 n° 19-70.010).


Mais s’agissant d’un simple avis, il n’était pas impératif.


Sa position en matière juridictionnelle était donc attendue. C’est dorénavant chose faite avec ces arrêts du 11 mai 2022 qui à n’en point douter, mécontenteront certains, et conviendront à d’autres, mais qui ont au moins le mérite de mettre un terme à saga judiciaire existant depuis la genèse du texte.

 

En effet, depuis la publication le 24 septembre 2017 de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 consacrant à l’article L. 1235-3 du code du travail le barème d’indemnisation des licenciements abusifs fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise, nombre de contestations s’étaient élevées motif pris d’une méconnaissance de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT et de l’article 24 de la Charte sociale européenne qui consacrent le droit à une réparation adéquate et appropriée.


Certains conseils de prud’hommes avaient été sensibles à ces critiques : ils avient écarté l’application du barème et avaient de fait accordé des montants supérieurs aux plafonds fixés (notamment Troyes 13-12-2018 n° 18/00036 ; Paris 22-11-2018 n° 18/00964 ; Amiens 19-12-2018 n° 18/00040 ; Lyon 21-12-2018 n° 18/01238 ; Grenoble 18-1-2019 n° 18/00989 ; Angers 19-1-2019 n° 18/00046 ; Bordeaux 9/4/2019 n° 18/00659 ; Martigues, 26-4-2019 n° 18/00168 ; Montpellier 17-5-2019 n° 18/00152 ; Agen 5-2-2019 n° 18/00049).


Certains avaient même maintenu cette position en dépit de l’avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019 (notamment Grenoble, 25-3-2021, n° 19/00581 et Paris 9-7-2021 n°18/02179)


D’autres à l’inverse, avaient estimé que le barème n’était pas contraire aux conventions précités, et s’étaient donc bornés à accorder une indemnisation comprise entre le plancher et le plafond prévus par le texte. (Le Mans 26-9-2018 n° 17/00538 ; Caen 18-12-2018 n° 17/00193 ; Le Havre 15-4-2019 n°18/00318 ; Saint-Nazaire 24-6-2019 n° 18/00105)


En appel, les juges avaient adopté une position plus nuancée. Tout en validant l’application du barème d’indemnisation, ils avaient pris le soin de prévoir une possibilité d’y déroger au cas par cas, ou « in concreto » (notamment CA Paris, ch. 6-3, 18 sept. 2019 et ch. 6-11, 16 mars 2021, n° 19/08721, n° 17/06676 ; CA Reims, ch. soc., 25 sept. 2019, n° 19/00003 ; CA Bourges, ch. soc., 6 nov. 2020, n° 19/00585


C’est dans ce contexte judiciaire que la Cour de cassation a été amené à se prononcer.

 

Avec ces deux arrêts du 11 mai 2022, la Cour de cassation apporte une triple réponse à cette saga judiciaire :


1) L’article 24 de la charte sociale ne peut pas être invoqué


Dans l’arrêt n° 21-15.247, la Cour de cassation rappelle que les dispositions d’un traité international ne sont d’application directe que si deux conditions cumulatives sont satisfaites : elles sont créatrices de droits pour les particuliers et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à leur égard.

S’agissant spécifiquement de la charte sociale européenne, la Cour de cassation constate que si le texte créé des droits pour les particuliers, sa mise en œuvre nécessite que les Etats contractants - dont la France - prennent des actes complémentaires d'application, notamment au niveau législatif et réglementaire.

Elle en déduit que la Charte sociale européenne n’est pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers et que l'invocation de son article 24 ne peut pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail.

In fine elle juge qu’il convient d’allouer au salarié licencié de manière abusive une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux prévus par le « barème Macron »


2) Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT


Dans l’arrêt n°21-14.490, après avoir constaté que la convention n° 158 de l’OIT est d’effet direct (elle crée des droits pour les particuliers sans nécessité d’intervention complémentaire), la Cour de cassation précise que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de son article 10.


Pour parvenir à cette solution, la Haute juridiction rappelle qu’au sens de cet article international, une indemnité adéquate du licenciement abusif s’entend d’une part comme une indemnité suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d'autre part comme une indemnité permettant l'indemnisation raisonnable de la perte injustifiée de l'emploi.


S’attachant à l’étude de la législation nationale, elle constate qu’à côté de l’article L. 1235-3 du code du travail, il y a l’article L. 1235-3-1 du même code en vertu duquel le barème est écarté dès lors que sont en cause des cas de nullité du licenciement (harcèlement, discrimination, de faits de harcèlement, de discrimination, violation d’une liberté fondamentales, etc.).


Puis elle indique qu’il y a aussi l’article L. 1235-4 du code du travail qui prévoit le remboursement par l’employeur à Pôle emploi des indemnités de chômage versées au salarié licencié abusivement (dans la limite de 6 mois d’allocation chômage).


Pour la Cour de cassation cet appareillage juridique permet raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi tout en assurant un caractère dissuasif.


3) Les juges du fond ne peuvent pas déroger au barème dans le cadre d’une appréciation « in concreto ».


Toujours dans l’arrêt n°21-14.490, la Cour de cassation censure la Cour d’appel pour avoir écarté l’application du barème en raison de la situation concrète de la salariée.


Elle estime « qu'il lui appartenait seulement d'apprécier la situation concrète de la salariée pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l'article L. 1235-3 du code du travail.


Ce faisant, elle nie clairement la possibilité aux juges du fond de pouvoir déroger au barème dans le cadre d’une appréciation « in concreto ».


Dans un communiqué accompagnant son arrêt, la Cour de cassation a précisé qu’une appréciation in concreto au-delà des limites du barème créerait de l’insécurité juridique (car susceptible de changer en fonction de circonstances individuelles et de leur appréciation par les juges) et porterait atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789.



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